LA LUTTE CONTRE L'EXCLUSION ET LA PAUVRETÉ EN FRANCE ET EN ITALIE
Entretien avec Robert Botteghi
Pouvez-vous revenir avec nous sur votre parcours ?
Je suis un enfant d’immigrés italiens né à Marseille. Ma maman était piémontaise et mon papa, originaire de Toscane, avait été réquisitionné par l’armée française. Pour ce qui est de mon parcours, je suis à la fois un acteur de terrain et un universitaire. J'ai obtenu mon diplôme d'ingénieur à l’INSA de Lyon, et j'ai également réalisé un doctorat de sciences sociales en aménagement urbain. J'ai par la suite été pendant 40 ans ingénieur territorial. Dans les années 90, j'ai été accroché par l’Université de Nice pour enseigner les financements européens, notamment le programme Interreg.
Selon les chiffres officiels de 2018 délivrés par l’INSEE, le taux de pauvreté à Marseille s’élevait à 26% contre 17,6% au niveau national. Selon vous, comment ce gap peut-il être expliqué ?
En évoquant ses origines italiennes, Robert et moi avons parlé du « syndrome de l’immigré » et de la complexité à définir son identité et trouver sa place lorsque l'on est tiraillé entre deux pays. En France, c’est le sentiment d’être un étranger qui prévaut, et dans le pays d’origine celui d’être Français. Ainsi, on se retrouve parfois confronté à ce sentiment d'être apatride, de ne convenir nul part.
La raison est liée à son histoire : Marseille une ville portuaire dont l’activité principale est une activité de commerce. Ces emplois sont pour la plupart à faible valeur ajoutée. Les Arméniens, les Turcs, les Italiens, les Espagnols et les Arabes sont venus pour occuper ces postes. Lorsque l’on y prête attention, les gens qui émigrent ne sont jamais les plus riches.
Que pensez-vous du plan « Marseille en Grand » annoncé par Emmanuel Macron le 2 septembre 2021 et ses 150 millions d'euros annoncés pour changer le visage de Marseille ? Quels en sont les effets aujourd'hui ?
Il est assez dur d’émettre un avis sur le sujet. En France, entre le moment où l’on décide de construire une route et le moment où on l’inaugure, il s’écoule en moyenne 8 à 10 ans. La rénovation du port de Marseille, à titre d’exemple, est une opération qui a commencé il y a quasiment 30 ans, et nous en voyons les résultats seulement aujourd'hui. Il est donc nécessaire de prendre en compte ces échelles de temps qui sont assez longues. C’est pourquoi il est difficile de répondre à la question, étant donné que le projet est récent, et les résultats pas encore visibles.
Comment qualifieriez-vous les actions menées au niveau régional et municipal pour lutter contre la précarité ?
En tant que citoyen de cette ville, je dirais que les directions qui ont été prises en ce qui concerne l'injustice et de la cohésion sociale vont dans le bon sens. Le problème à Marseille, mais aussi dans toute la France, est que l'argent consacré au quartiers sensibles est mineure aujourd’hui. Nous avons plus que jamais besoin de reconstruire le lien social afin que chacun accepte de donner une part de sa richesse aux plus pauvres. Dans notre société actuelle individualiste, cela devient de plus en plus difficile.
Quand est-il des organismes associatifs présents dans la ville ?
Il y a un tissu associatif très large à Marseille. Il faut cependant faire attention car dans ce domaine là, il y a beaucoup de structures, mais leur efficacité et leur réalité de présence sur le terrain est toujours très difficile à mesurer. Il y a malheureusement beaucoup d’actions qui sont de l’ordre de l’annonce et du marketing, sans forcément de contenu.
Marseille est souvent présentée comme "la ville du crime" en France, mythe ou réalité ?​
Depuis que Marseille existe, elle subit cette image de « capitale du crime ». Cela fait partie d’une forme d’historiographie de reconstruction de l’histoire et des territoires. Il est avant tout nécessaire d'être conscient du bashing « anti-Marseille » qui est véhiculé à travers certains médias français. Il faut également être vigilant concernant les chiffres communiqués car ils sont souvent biaisés et non représentatifs de la réalité. A titre d'exemple, les chiffres de la production de l’activité policière ne permettent pas d'appréhender de manière efficace la criminalité puisqu'ils se concentrent seulement sur certaines zones et certaines périodes de temps, ce qui ne permet pas d'avoir une vue d'ensemble sur la question.
Je le crois, oui. Néanmoins il faut être lucide : y a-t-il des trafics divers sur le port ? Oui, comme dans tous les ports. Y a-t-il des quartiers défavorisés ? Oui. Y a-t-il dans ces quartiers défavorisés des gens qui font du trafic ? Oui, mais il faut garder en tête que pour qu’il y ait vente de drogues, il faut qu’il y ait des acheteurs, et ces acheteurs, ce ne sont pas les pauvres. La criminalité existe à Marseille, c'est un fait, la vraie question est : faut-il pour autant jeter l’opprobre sur un 1,7 million d’habitants ?
Comment pouvons nous expliquer cela ? Pourquoi ce bashing anti-Marseille ?
Pour une raison simple : quand nous regardons les études qui permettent de comprendre quels territoires profitent davantage de la répartition de la richesse en France, on peut s’apercevoir que ce sont ceux qui parviennent à se construire la meilleure image. Ainsi, c’est de loin le monde rurale qui bénéficie le plus de la répartition de l’impôt. Et en deuxième position, il y a la Bretagne. Il y a en réalité toute une construction d'image plus ou moins vertueuse d'une région, et c'est cela qui va venir justifier par la suite de l'appui financier ou non en sa direction.
Selon vous, il y a donc un réel gap entre l’image véhiculée par les médias et la réalité ?
On évoque souvent Marseille comme une ville cosmopolite marquée par les contrastes. Pouvons-nous constater de grandes disparités sociales au sein de la population marseillaise ?
Marseille c’est 101 villages, parmi lesquels nous pouvons retrouver par exemple le Roucasse Blanc, qui au moment de l’impôt sur la fortune, était, après le XVIeme arrondissement à Paris, le quartier où il y avait le plus de personnes imposables. Et en complète opposition, nous retrouvons les quartiers nords, qui font partis des quartiers les plus pauvres de France. Nous pouvons donc constater en effet des divergences marquées.